Article du 6 octobre 2023 rédigé par Christian Conrad, botaniste et naturaliste
Chaque jour nous apporte son lot de nouvelles plus ou moins désastreuses sur la situation de notre planète. Les multiples exemples qui nous entourent et dont nous sommes chaque jour témoins nous rappellent sans cesse qu’il semble bien difficile de trouver un compromis entre les aspirations humaines et la gestion de protection de l’environnement. Face à ce constat, que faire ? Changer notre mode de vie est impératif tant dans les domaines de la production et la maîtrise de l’énergie, que sur le prélèvement et la préservation des ressources naturelles tout en veillant au respect de la faune, de la flore, de leurs habitats*.
En France nous avons les mêmes préoccupations, pour pallier aux différents problèmes que pose le réchauffement climatique, l’état a mis en place un projet global, la transition écologique, sa mise en place pose quelques problèmes… dans sa traduction à l’échelle locale au travers de projets qui touchent à l’aménagement du territoire au sens large, incluant la politique agricole, la gestion des forêts, des espaces aquatiques, des espaces protégés, les politiques de prévention de la santé, les intérêts économiques des « majors de l’énergie fossile », etc.
La transition écologique doit se faire rationnellement sans augmenter la pression sur ou l’atteinte à la biodiversité, or nous constatons qu’une majorité d’installations des projets de centrales photovoltaïques le sont sur des espaces naturels (champ, prairie, espace boisé, plan d’eau etc.). Pour prendre un exemple, dans le département du Lot où il est envisagé de permettre à Total l’abattage 7000 arbres et la destruction de plusieurs hectares de pelouse sèche, quant au site mégalithique majeur, et ce, au milieu du Parc naturel régional des Causses du Quercy, il subira des bouleversements ; en Aveyron, un projet menace des terres agricoles et naturelles sur le Causse Comtal ; même projet sur le plateau du Larzac etc. Dans le Tarn, un projet d’implantation d’une centrale voltaïque sur le plan d’eau de La Bosque sur la commune de Loupiac, tous ces projets, et bien d’autres mettent à mal nos espaces naturels.
Depuis des décennies, la biodiversité est lourdement endommagée ou détruite, ce n’est pas le moment d’accentuer son érosion, nous avons besoin d’elle; elle est la base de la vie, sans la faune et la flore, les interactions entre les espèces qui forment les écosystèmes, nous ne serions pas là, on ne pourrait pas maintenir les bases de la vie sur terre. Notre santé dépend de la santé globale de l’ensemble des écosystèmes : dixit Marie Monique Robin « La fabrique des pandémies ». Continuer à y porter atteinte nous priverait ou nous privera… d’eau, de nourriture, de moyens d’existence en altérant la qualité des sols… le climat. Nous serions privés de tout ce qui nous permet d’exister, pas de nourriture, pas d’eau etc. En ce qui concerne les conséquences de l’aggravation des atteintes à la biodiversité, son érosion, nous ne savons pas où situer le point de non-retour, on ignore ce qui se passera après l’effondrement des écosystèmes, nous n’avons aucune référence sur le sujet. Concernant le dérèglement climatique – Il impose que nous prenions des mesures d’urgence tout autant que de mettre un terme aux atteintes faites à la biodiversité. – depuis les années 70, nous savons l’importance des relations et les interactions entre l’atmosphère et la biosphère* (le vivant), ce qui en fait une planète vivante (voir les travaux de James Lovelock et Lynn Margulis).
Les rapports de l’IPBES* (l’équivalent du GIEC pour le climat) se succèdent. Parmi les associations de référence, le WWF qui depuis 5 décennies édite un rapport bisannuel sur l’état de santé de la biodiversité dans le monde. Le dernier rapport « Planète vivante 2022 » vient de sortir, il a été réalisé avec la collaboration de la « Société Zoologique de Londres (SZL). Ces dernières études sont bien sûr alarmantes, « Entre 1970 et 2018, la taille moyenne des populations de vertébrés sauvages a décliné de 69% ». Aucune région du monde n’est épargnée.
Depuis les années 80-90, bien des livres ont été édités sur le sujet, je pense à celui de François RAMADE (grand écologue) 1999 « Le grand massacre », de Franz BROSWIMMER 2010 « Une histoire de l’extinction en masse des espèces ».
Nous sommes bien sûr favorables à ce que la lutte contre la crise climatique passe par le photovoltaïque, mais pas par des implantations qui sont préjudiciables au vivant, c’est à dire situées sur des zones fragiles voire protégées, etc., n’importe comment, pas n’importe où.
Le voltaïque OUI, mais sur les bâtiments, les maisons d’habitation, les friches industrielles, les parkings, les milieux stériles etc. Mais pas sur les milieux naturels.
Protection du climat et protection de la nature vont de pair, les mettre en concurrence revient à les rendre inopérantes. D’autres solutions que celles actuellement réalisées ou envisagées existent.
Le gouvernement a fait le choix d’une production industrielle des énergies renouvelables du photovoltaïque et de l’éolien. Les supports, autre que les espaces naturels, ne manquent pas.
Le modèle autrichien peut devenir une référence, ce pays a mis en place une autre politique d’aménagement du voltaïque sur son territoire, elle se classe au 1er rang européen pour la part des énergies renouvelables dans sa consommation d’électricité. Mais le pays souhaite aller encore plus loin : la nouvelle loi sur les énergies renouvelables ou EAG devrait permettre au pays de porter sa production d’électricité renouvelable à 100% d’ici 2030. En août 2021, le ministère autrichien de la protection du climat a approuvé un budget de 20 millions d’euros pour la construction de projets solaires résidentiels et commerciaux. Le ministère a également augmenté le budget de financement des systèmes à petite échelle. La subvention vise à offrir aux ménages et aux petites entreprises un système solaire d’une puissance maximale de 50 kW et une subvention de 150 à 200 EUR/kW de puissance installée.
Les agriculteurs ont une autre approche du voltaïque sur leurs terres, Il est en effet important pour de nombreux agriculteurs que le développement du photovoltaïque ne se fasse pas au détriment des terres agricoles qui perd, en surface chaque année, l’équivalent d’environ 18 terrains de football. Ils considèrent que le principal risque causé par de tels dispositifs concerne le manque de luminosité pour les plantes et donc une baisse de la production agricole. Ainsi, les cultures dans des serres agricoles photovoltaïques nécessitent une adaptation des pratiques culturales et les fabricants essaient d’adapter ces outils aux besoins des agriculteurs.
Chez nous de nombreuses coopératives citoyennes se sont créées et ont déjà mis en place de nombreux projets. De nombreux particuliers ont installé sur leur toit ou dans leur jardin des panneaux voltaïques qui leur assurent une autonomie énergétique.
- Ici nous citons la synthèse d’une étude réalisée par la FRB (Fondation pour la recherche sur la biodiversité) le 27/10/2017 sous l’intitulé « Energie renouvelable et biodiversité : les implications pour parvenir à une énergie verte »
L’économie verte* est définie comme un système économique qui conduit à une « amélioration du bien-être humain et de l’équité sociale, tout en réduisant de manière significative les risques environnementaux et les pénuries écologiques… Dans une économie verte, la croissance du revenu et de l’emploi est liée aux investissements publics et privés qui réduisent les émissions de carbone et la pollution, améliorent l’efficacité énergétique et des ressources et empêchent la perte de biodiversité et des services écosystémiques* »
Investir dans le capital naturel et accroître l’efficacité de l’énergie par rapport à l’utilisation des ressources sont les deux stratégies clés pour développer des secteurs économiques « verts » comme moyen de transition. La conservation de la biodiversité et le maintien des services écosystémiques ; sont des piliers essentiels des efforts pour une transition vers une économie verte.
Conclusion
Que nous le voulions ou non, c’est une guerre qui a été engagée contre la Nature. Si nous ne nous levons pas face à ces multinationales qui le fera ?
Afin d’avoir plus de visibilité et de résultat, il est indispensable de créer une convergence à grande échelle qui fédérera les oppositions avec une orientation pragmatique et radicale aux projets de construction de centrales photovoltaïques dans les espaces naturels sauvages ainsi que les terres agricoles.
Rédaction
Christian Conrad Naturaliste
Relecture, conseil, Nadine Verdier, Laurence Lancien
NOTE :
*L’habitat écologique désigne des espaces de vie des espèces animales et végétales. Un même écosystème peut fournir un habitat à de nombreuses espèces différentes. A l’échelle micro, une haie, une mare, un bras mort, un vieux tronc, une prairie, une tourbière etc., sont des exemples d’habitat. On utilise le terme à une autre échelle plus vaste (meso) : Les zones humides, les forêts, le bocage, les littoraux sont aussi des habitats écologiques.
*IPBES : La Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) est un organe intergouvernemental créé en 2012. Il est placé sous l’égide du Programme des Nations unies pour l’environnement, du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) et de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Il contribue à la prise de décisions politiques responsables par la diffusion d’une connaissance pluridisciplinaire sur la biodiversité et les écosystèmes. Aussi est-il parfois considéré comme le « GIEC de la biodiversité ».
*La biosphère est l’ensemble des organismes vivants et leurs milieux de vie, donc la totalité des écosystèmes présents que ce soit dans la lithosphère, l’hydrosphère et l’atmosphère.
* Le concept de l’économie verte s’est imposé progressivement chez les universitaires et les décideurs. L’économie verte a été l’un des deux thèmes de la conférence des Nations unies de 2012 sur le développement durable (UNCSD-2012) tenue à Rio de Janeiro, et communément appelée Rio + 20. Le programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) a été à l’avant-garde du discours en faveur de l’économie verte dans la perspective de Rio + 20, qui a abouti à la publication de son rapport historique Green Economy et à des conseils sur la façon de formuler des politiques économiques vertes, en mesurer les progrès et modéliser les effets futurs d’une transition énergétique verte.
* Les services écosystémiques sont les avantages que les humains tirent directement et indirectement des écosystèmes, qui contribuent de multiples façons au bien-être humain. Dans le premier discours sur les services écosystémiques, la biodiversité n’a pas été conceptualisée en tant que service écosystémique, mais comme base des services écosystémiques, ils rendent la vie humaine possible, par exemple en fournissant des aliments nutritifs et de l’eau potable, en régulant les maladies et le climat, en contribuant à la pollinisation des cultures et la formation des sols et en fournissant des avantages récréatifs, culturels et spirituels.